Saint Tapedon

En 1734, des paroissiens de Marsannay écrivent à l’évêque pour créer une dévotion spéciale à saint Abdon. La statue de ce saint ornait encore, dans la seconde moitié du XXe siècle, l’église du village. Elle a disparu.

« A Monseigneur l’Illustrissime et Révérendissime évêque de Dijon, suplient humblement les habitans de Marsannay la Côte et nous remontrent que dans le malheur et la disgrâce qu’ils ont eus les années dernières de voir la plus grande partie de leurs terres et leurs vignes entièrement ravagées par la gresle, ayans eus recours à l’intercession de Saint Abdon auprez de Dieu pour appaiser sa colère, ils ont du depuis ressentis et éprouvés par sa divine puissance les effets de cette heureuse intercession dont ils doivent rendre à Dieu leurs actions de grâce et luy témoigner très respectueusement leur reconnoissance d’un si grand bienfait en honorant la mémoire de ce saint qui le leurs a méritté, pourquoy ils ont recours à Votre Grandeur, Monseigneur, et vous suplient lesdits habitans de Marsannay en Montagne de vouloir bien leurs permettre de fester et ériger le jour de Saint Abdon en Patron avec Baton, de leurs dire les vêpres la veille dudit jour, le lendemain jour dudit saint, des matines, une grande messe, des secondes vêpres et d’aller chercher ledit baton de Saint Abdon chez l’un desdits habitans et de les reconduire chez luy ou chez un autre à la fin de touttes lesdites offices, moyennant une rétribution telle qu’il plaira être réglée au sieur prieur de Marsennay en Montagne par les habitans dudit lieu et ils continueront leurs vœux pour votre prospérité et santé. »
(Suivent 9 signatures et celle du prieur. En marge, acceptation de l’évêché qui fixe les honoraires à 3 livres «  attendu qu’il s’agit d’une dévotion publique  » et qui seront payées «  par le procureur de communauté  »).
Arch. dép. Côte-d’Or, G 4045 (1734), transcription de Pierre de Saint Jacob, Documents relatifs à la communauté villageoise en Bourgogne, du milieu du XVIIe siècle à la Révolution, Paris, Les Belles Lettres, coll. «  Publ. de l’université de Dijon  », XXVIII, 1962.

Abdon et Sennen selon la Légende dorée

« Saint Abdon et Sennen, martyrs (30 juillet)
« Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous l’empereur Décius. Ce prince, ayant conquis la Babylonie et d’autres provinces, y avait trouvé des chrétiens, et les avait emmenés avec lui à Cordoue où il les avait faits périr sous divers supplices. Alors, deux nobles de la région, Abdon et Sennen, ensevelirent les corps de ces chrétiens, ce qui leur valut d’être dénoncés à Décius qui les fit enchaîner et conduire à Rome. Là, en présence du Sénat, on les somma ou bien de sacrifier aux idoles, et de retrouver ainsi leur liberté, ou bien d’être livrés en pâture aux bêtes. Et comme ils dédaignaient et insultaient les idoles, ils furent traînés dans le cirque, où on lâcha sur eux deux lions et quatre ours, mais qui, loin de les attaquer, se rangèrent autour d’eux pour leur servir de garde. Ce que voyant, Décisus les fit transpercer à coup de poignard, leur fit lier les pieds, et fit jeter leurs cadavres devant l’idole du soleil. Ils y restèrent trois jours, après quoi le sous-diacre Quirin les recueillit et les ensevelit dans sa maison. Cela se passait vers l’an du Seigneur 253. Plus tard, sous le règne de Constantin, les martyrs révélèrent eux-même le lieu de leur sépulture  ; et les chrétiens transportèrent leurs restes au cimetière Pontien, où le Seigneur, par leur entremise, accorda au peuple une foule de bienfaits.  »
Jacques de Voragine, La Légende dorée, trad. Teodor Wyzewa, Paris, Perrin, 1911.

Hagiographie

La légende dorée a été passé au crible de la critique par les Acta Sanctorum des Bollandistes. Cela n’a pas empêché les hagiographies enjolivées de se poursuivre. Voir par exemple :

  • Abbé B.B. Collenet, Notice sur la passion des nobles persans Abdon et Sennen et sur le pélerinage de saint Abdon à Vilers-la-Faye, suivie de quelques considérations sur les neuvaines en général, Dijon, J. E. Rabutot, 1867.
  • Marquis Paul de Vincent de Causans, Notice sur les SS martyrs Abdon et Sennen et sur le sarcophage qui contient quelques  unes de leurs reliques et une eau miraculeuse, à Arles-sur-Tech (Pyrénées orientales), Perpignan, P. Barou Job, 1868.
  • J. Tolra de Bordas, Histoire du martyr des saints Abdon et Sennen, de leurs reliques, de leurs miracles et de leur culte, Paris, Société générale de librairie catholique Victor Palmé, 2e éd., 1880.
  • Abbé Adolphe Crastre, Histoire du martyre des saints Abdon et Sennen, de leurs reliques, de leurs miracles, de leur culte et de l’eau miraculeuse du sarcophage, Amélie-les-Bains, impr. Xarard, 1932.

L’histoire d’abdon et Sennen vient d’être reprise à nouveaux frais par un médiéviste (Jean-Claude Voisin, La Perse et l’Occident chrétien. Histoire des martyrs perses Abdon et Sennen, Paris, L’Harmattan, 2019). Partant de la légende des deux martyrs, il ne les sépare point. Remarquant l’expansion du culte en Bourgogne, il en fait l’œuvre de l’abbaye de Cluny, en s’appuyant sur l’iconographie de l’une des  fresques de Berzé-la-Ville. En annexe de son ouvrage, il dresse un répertoire du culte des deux saints fort incomplet.

Le culte en Bourgogne

« Il existe une statue de St Abdon et St Sennen dans l’église de Mercurey (71) et une statue de St Abdon au bord d’un chemin, dans un petit oratoire à Rully (71). Il était invoqué contre la foudre et la grêle. Ces 2 villages sont producteurs de vins de Bourgogne réputés. »
« Il y a une statue en pierre de St Abdon dans l’église de Ebaty en sud Côte d’Or. Il est représenté nu-tête avec les mains enchaînées (datée du XVIIe ou XVIIe siècle, avec des traces de polychromie). Ce village est à une douzaine de km de Rully, une quinzaine de Mercurey »
« Saint-Abdon est aussi très présent dans la vallée de l’Yonne ; par exemple, à Cézy (89410), il existe la place de la Croix Saint-Abdon et la croix de chemin : Croix Saint-Abdon à la Celle Saint Cyr (89116). »
« On retrouve Saint Abdon et Saint Sennen dans les peintures murales qui ornent le chœur de l’église Saint Fiacre de Ronchères (Yonne) près de Saint-Fargeau. »
https://nominis.cef.fr/contenus/saint/1591/Saints-Abdon-et-Sennen.html (courrier des internautes)

Mythologie populaire

À Marsannay, comme souvent ailleurs, on n’a retenu du duo Abdon-Sennen que le premier. Saint Abdon est invoqué contre les orages et son surnom est : saint Tape-Donc (prononcer « Tapedon »). Dans leur demande de 1734, les habitants de Marsannay ne se sont souciés ni des Bollandistes, ni même de la Légende Dorée. Ils n’avaient que faire du culte des saints Abdon et Sennen, de leur supposé tombeau à Arles-sur-Tech dans les Pyrénées orientales, et du miracle de l’eau qui en coule mystérieusment. En Bourgogne, Abdon a pris son autonomie et a laissé de côté Sennen. Il doit sans doute sa nouvelle existence à son sobriquet propre à lui faire endosser les habits d’un intercesseur had hoc auprès d’une puissance du ciel , du tonnerre et de la foudre. Il appartient à une culture populaire qui construit son imaginaire à coup de jeux de mots et fait survivre ainsi inconsciemment d’anciennes fonctions sacrée, loin des dogmes officiels.

En faisant un relevé des statues conservées dans les églises et chapelles de France, on s’aperçoit vite qu’en majorité on est en Bourgogne en présence du seul Abdon, à quelques exceptions près. Une liste de ce culte d’Abdon seul à croiser avec la culture de la vigne. Tout cela met à bas l’explication hagiographique catholique et invite à prendre au sérieux le cadre d’une religion populaire qui résista fort bien aux sursauts orthodoxes des quelques curés qui tentèrent de ramener dans l’escarcelle la légende officielle d’un duo de martyrs.

« […] saint Abdon (fêté le 30 juillet), invoqué cette fois contre l’orage et la grêle, est aussi appelé Tapedon en Côte-d’Or et Tape donc ou Tappedont en Berry […] Suspecte historiquement, mais hautement révélatrice du fonctionnement symbolique de la pensée populaire : le « jeu de mots » créé par la liaison – comme pour saint Ignace (de Loyola) devenu saint Tignasse ou saint Aignan devenu saint Taignan – devient le point de départ de nouvelles motivations fonctionnelles et iconographiques. Dans le cas de saint Tappedont, on retrouve le double visage de nombre de saint populaires : à la fois bénéfique et maléfiques, grands juges pacificateurs et vengeurs implacables. Sur le plan du recouvrement mythologique, saint Tappedont/Abdon pourrait être un substitut « chrétien » du dieu gaulois Sucellos dont le nom signifie « Bon Frappeur » ou « Tape dur ». »
Jacques Merceron, Dictionnaire des saints imaginaires et facétieux, Paris, Le Seuil, 2002.