Le Pas d’arme de 1443

Mémoires d’Olivier de La Marche, maître d’hôtel et capitaine des gardes de Charles le Téméraire [1562], publ. pour la Société de l’histoire de France par Henri Beaune et J. d’Arbaumont, 4 vol., Paris, Renouard, H. Loones (Vve H. Loones, H. Laurens), 1883-1888, chap. IX  : «  Comment treze gentilshommes de la maison du duc de Bourgongne teindrent le pas d’armes à tous venans, près Digeon, en une place nommée l’Arbre Charlemaigne  ».

Or est bien Ie temps que je me boute ou temps oiseulx et plain de plaisances et de honnestes passetemps, et que je recite l’execution de cestuy noble pas[1] crié et publié par tous les royaulmes et seigneuries chrestiens, affin de ramentevoir la chevallerie monstrée de tous les partiz, et aussi par maniere d’escolle et de doctrine aux nobles hommes qui viendront cy après, qui, peult estre, desireronl de eulx monstrer et faire congnoistre en leur advenir comme leurs devanchiers, et de monstrer et faire reblandir leurs blasons en leur cotte d’armes estendue et couchée sur leurs corps, prestz et apparaillez de endurer la fortune telle qu’elle, à la chasse et poursuitte de noblesse et de renommée, a accoustumé de se donner. Et est besoing, avant que je entre à l’accomplissement des armes, que je devise de l’estat des pompes et preparations que fit le seigneur de Charny, chief et fournisseur de la despence du pas, et commen fut ceste sollempnité haultement et par grans fraiz menée et conduitte, dont à mon rapport je demande à tesmoignaige tous les escriptz et registres faictz par les roys d’armes et heraulx presens à ceste chose.

Premièrement, le seigneur de Charny fut, près du temps et espace d’ung an, accompaigné des seigneurs et nobles hommes escriptz et nommez cy après, et chascun[2] en fournissant ses armes, et portoient tous par emprise chascun une garde devant[3], à la maniere de la garde d’un harnois de jambe, et la portoient au genoul senestre les chevaliers[4] dorée, et semée de larmes d’argent  ; et les escuyers[5] d’argent, semée de larmes dorées. Et debvez sçavoir que c’estoit bene chose de rencontrer telz treze personnaiges ensemble, et d’une parure  ; et firrent leurs assais et preparatoires en l’abbaye de Sainct Benigne de Dijon.

Et, en suyvant lesdiz chappitres, le seigneur de Charny fist clorre, à maniere d’ung bas palis, l’arbre Charlemaigne, qui siet à une lieue de Dijon, tirant à Nuits, en une place appellée la charme de Marcennay[6]  ; et contre ledit arbre avoit ung drap de haulte lice, des plaines, armes dudit sei-igneur, qui sont escartelées de Bauffremont et de Vergy[7], et au millieu ung petit escusson de Charny. Et à l’encontre[8] dudit tapis furent attaichez les deux escuz semez de larmes, c’est assavoir au dextre costé l’escu violet, semé de larmes noires, pour les armes, à pied, et au senestre l’escu noir, semé de larmes d’or, pour les armes de cheval  ; et, pour garder iceulx, estoient roys d’armes et heraulx vestuz et parez des cottes d’armes dudit seigneur.

Tenant à l’arbre Charlemaigne, ainsi que au pied, a une fontaine, grande et belle[9] et laquelle ledit de Charny fit reedifier de pierre de taille, et de un hault capital de pierre., Au dessus[10] avoit ymaiges de Dieu, de Nostre Dame et de madame saincte Anne  ; et du long dudit capital furent eslevez en pierre les treze blasons des armes dudit seigneur de Charny et de ses compaignons, gardans et tenans le pas d’icelle emprise. Ung petit plus avant sur le grant chemin, et d’icelluy costé retournant devers la ville de Dijon, fust faicte une haulte croix de pierre,où fut l’ymaige du crucifix  ; et devant l’ymaige, ainsi que à ses piez, estoit à genoulx et eslevée la presentacion dudit seigneur, la cotte d’armes au doz, le bacinet en la teste, et armé comme pour combattre en lices.


[1] Le pas de l’arbre Charlemagne, ouvert le 11 juillet 1443, a été aussi cité par Monstrelet, ch. CCLXXII, t. VI, p. 68 et suiv., ou plutôt cet auteur en fait connaître les jouteurs et les conditions. Mais la description complète ne se trouve que dans Olivier de la Marche. V. aussi Paradin, Annales de Bourgongne, liv. III ; le P. Ménestrier, Traité des carrousels, 1664, et Histoire généalogique de la maison de Rabutin, publiée par Henri Beaune. Monstrelet l’appelle le pas « séant sur le grand chemin venant de Dijon à Auxonne au bout de la chaucié partant de ladicte ville d’Auxonne et ung gros arbre appelé l’arbre des Hermittes. » Il n’a pas fait attention ou n’a pas ajouté que ces armes, d’abord publiées, en effet, « pour estre faictes à la chaussée d’Auxonne » (voy. plus haut, p. 284), se tinrent en réalité à Marsannay près Dijon.

[2] Mot omis ou supprimé dans les éditions précédentes.

[3] «  D’argent.  »

[4] «  Estant icelle.  »

[5] «  La portoyent.  »

[6] Marsannay-la-Côte près Dijon, au pied de la côte qui produit les grands vins de Bourgogne.

[7] Voir plus loin la description des blasons des treize tenants du pas de l’arbre Charlemagne.

[8] «  À l’entour.  »

[9] La fontaine Charles. Au XVIIIe siècle, Courtépée (Description du Duché de Bourgogne, 2e édit., t. II, p. 217) disait qu’elle était dégradée. Elle se trouve. sur le bord de la grande route de Dijon à. Beaune, « près, dit le mème auteur, de la baraque Millot  ».

[10] «  Au dessus duquel.  »

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