Avant-propos
Dans son Histoire de l’Idiome bourguignon*, édition de 1856, Mignard relate qu’en cette même année, il a surpris, sur la butte de Fontaine-lès-Dijon, une conversation faite en excellent patois bourguignon, et de s’en réjouir en ces termes : « L’idiome bourguignon, comme on le voit, n’a point, en abandonnant sa capitale, cherché seulement des retraites lointaines et inaccessibles… » Eh non ! et les vignerons proches de Dijon ont parlé très longtemps après 1856, la langue de leurs ancêtres. C’est la guerre 14-18 qui mit fin au patois, dans notre côte vineuse. Les poilus, après cinq années vécues (et comment…) loin de leurs villages, avaient perdu l’habitude de parler patois. À leur retour, ils abandonnèrent complètement le dialecte cher à Lammonoye ; mieux, ils eurent honte de l’employer. Seules, quelques personnes âgées continuèrent à parler entre elles, en patois. C’est auprès de celles-ci, que j’ai recueilli certaines expressions bien locales, et surtout, que j’ai appris la prononciation qui, notamment dans les terminaisons, change de village en village. C’est pour cette raison que j’ai souligné que ces histoires étaient écrites en patois de Marsannay. Ce dernier se rapproche beaucoup de celui de Dijon, tout à fait différent de ceux de Beaune ou du Val de Saône par exemple.
Surtout, amis lecteurs, ne cherchez pas dans ces contes, ni un traité de philosophie, ni un recueil de savants poèmes. J’ai tout simplement rimaillé, dans un dialecte qui a presque disparu de notre Côte, des histoires du terroir qui, j’ose l’espérer, intéresseront quelques amoureux de notre Bourgogne et de son passé.
Et maintenant, comme disait notre bon Maître Rabelais : « Esbaudissez-vous, et gaiement, lisez le reste… »
* Mignard, Histoire de l’idiome bourguignon et de sa littérature propre, ou philologie comparée de cet idiome, suivie de Quelques poésies françaises inédites de Bernard de La Monnoye, Dijon, Lamarche et Drouelle, 1856.
Lé Chèsse du Nénesse
Jadis le boulangey’ de Massanay
Evoo i p’tio mitron im’ cheu simpiey ;
Qu’men seuvan dan cé câ lè, è s’croyoo
Bé mèlin, èteu è ne fréquentoo
Que lè gran gaçon bé pu vieu que lu.
Mav’ lu en pri ! car v’lé l’tor de pendu
Que cé taquinièv’ fire au fèrinou.
I biâ soi d’hivar qu’en f’soo i froi d’lou
Troi bon compér’ vinr’ charché le Nénesse
Po l’em-né è lè chèsse è lè québèsse[1].
« Tu vè prare i chaudron, i gro pessia,
In kieuche, i gran sac po mett’ les ouziâ »
Di l’pu vieu, « ma surtou, n’en pale è nue,
Surtou è ton patron, ein !… Bouch’ coudue… »
È vut’ heure, on se retreuv’ su lè pièce,
D’i bon pâ, no quat’ chèssou teut en liesse
S’en von brâmen[2] jusqu’au fon du Groo Niâ[3]
Po in’ neuy’ qu’on n’voi pa è deu pâ.
Au boo moitian d’i groo bousson d’épeune
On pièce l’Néness’ d’éveu sè campeune
È son groo chaudron. « Tu vè resté lè,
Pendan qu’ j’alon batte teu lé fourè
Po fèr’ levé l’pu possibieu d’québèsse,
È ç’momen lè, teu lé troi on lé pourchesse,
Toi, tu tap’ su l’chaudron, peu, su lè kieuche… ».
Bétoo, le boo rèseun’ de bru d’fèr bian !
Épanté, lé chouett’, le éguieu jan l’Bian,
Teu les ouziâ s’enveul’ freulan l’Nénesse
Que n’chant’ pa sè pu beille ! È qu’sâr lé fesse…
El épeul’, crie, de pu en pu gruillan ;
Ma, nue ne repan… Elor, è compren
Qu’on c’é meuqué de lu, è, qu’au pu too
En fo rentré è lè velle évan l’jo.
Vite, è s’en vè, ma en fè neuy’ telmen
Qu’èprée èvoi marché i bon bou d’tem
È se r’treuv’ teujo au bousson d’épeune.
E s’lèmentoo, quan velè que lè leune
Entre deu groo nuèg’ montre son croissan ;
Lè forê s’équiar’ quéqu’ minut’ seul’men,
L’preuve é juste l’tem de r’queneutr’ son ch’mi,
Ailor è s’dépoich’ de regangné l’ forni.
Teujo coran, el èrive esseuflié ;
Son patron étoo en train d’enfoné.
Vo pensé bé qu’è nétoo pa conten !
E not’ Néness’ teut en quiaquan dé den
Réconte sè chèss’… « Tu n’â pa l’premey’ »
Di en s’couan son groo ventre, l’boulangey’
« Ma dan l’éta qu’tè, vè vit’ te couché ».
C’étoo i brave homme, è peu qu’in-moo bè
È fèr’ dé farce. Èteu è ruminoo
Déjà dé r’vongé l’Nénesse. El évoo
È lè cav’ troi gross’ québèss’ de pendue
Qu’el évoo tué lè vaille è l’effu.
Vite, è vè lé kri, peu lè pièc’ brâmen
Au piafon d’’sè boutiqu’, bé-n’éparen.
Deu l’mètin, lè premér fan-ne que vîn
Aa lè pu quenqu’nell’[4] du payi. « Mâtin,
V’lé jar’[5] de bé biâ s’ouziâ », minaud’-t-ey’
« Compyimen au chèssou ! » Le boulangey’
Epatan in’ gross charpagnée[6] de pain
Erive po lu réponde juste è poin :
« Çâ l’Néness’ qué répoté ç’biâ trio,
Ma, n’en palé pa, è n’è pa enoo
De permi… » Pensé bè qu’sitoo soti,
Not’ langu’ de drill’ rècont’ l’biâ cou d’fusi
È bétoo teut’ lè velle â au courant.
Lé troi gueurlu èriv’ tambor bètan,
Voî de los euy’ lé québèss’. Çâ bé vrè ;
È son bé lè, pendu’ po l’bec’. Teu guè
L’patron lo di : « Fèt’ z’en don autan ! »
L’esgourde basse è s’en von en greum’lan…
El on compri que quoique bé mèlin,
On treuve teujo pu mèlin, pu fin…
Depeu ce cou lè, enné pu janmoi
M’né nue è lè québèss’, ma croyé moi,
Oj’d’euy’ enco, dan lè z’histoir’ de chèsse,
On n’manqu’ pa d’rèconté c’tée du Nénesse !
[1] Québèsse : bécasse.
[2] Brâmen, terme souvent employé (encore de nos jours) à Marsannay qui signifie : bien, comme il faut.
[3] Groo Niâ : bois de Marsannay, situé entre deux combes, ce qui lui donne la forme d’un « gros nez ».
[4] Quenqu’nelle : cancanière.
[5] Jare : même remarque que pour brâmen, signifie « ma foi » ; (V’lè jare in’ bell’ fille ! = Voilà, ma foi, une belle fille !).
[6] Charpagne ou charpagnée, sorte de corbeille en osier.
La chasse du Nénesse
Jadis le boulanger de Marsannay
Avait un petit mitron un peu simplet ;
Comme souvent dans ces cas-là, il se croyait
Bien malin, aussi il ne fréquentait
Que les grands garçons bien plus vieux que lui.
Mal lui en prit ! Car voilà le tour de pendu
Que ces taquins firent au « facineux ».
Un beau soir d’hiver qu’il faisait un froid de loup
Trois bons compères vinrent chercher le Nénesse
Pour l’emmener à la chasse à la bécasse.
« Tu vas prendre un chaudron, un gros échalas,
Une cloche, un grand sac pour mettre les oiseaux »
Dit le plus vieux. « Mais surtout n’en parle à personne,
Surtout à ton patron, hein !… Bouche cousue… »
À huit heures, on se retrouve sur la place,
D’un bon pied, nos quatre chasseurs tout en liesse
S’en vont bravement jusqu’au fond du gros Niâ
Par une nuit qu’on ne voit pas à deux pas.
Au beau milieu d’un gros buisson d’épines
On place le Nénesse avec sa campène
Et son gros chaudron. « Tu vas rester là,
Pendant que nous allons battre tous les fourrés
Pour faire lever le plus possible de bécasses,
À ce moment là, tous les trois on les pourchasse,
Toi, tu tapes sur le chaudron, puis, sur la cloche… »
Bientôt, le bois résonne de bruits de fer blanc !
Épouvantés, les chouettes, les aigles Jean le Blanc,
Tous les oiseaux s’envolent, frôlant le Nénesse
Qui ne chante pas sa plus belle ! Et qui serre les fesses…
Il appelle, crie, de plus en plus tremblant ;
Mais, personne ne répond… Alors il comprend
Qu’on s’est moqué de lui et, qu’au plus tôt
Il faut rentrer à la ville avant le jour.
Vite, il s’en va, mais il fait tellement nuit
Qu’après avoir marché un bon bout de temps
Il se retrouve toujours au buisson d’épines.
Il se lamentait, quand voilà que la lune
Entre deux gros nuages montre son croissant ;
La forêt s’éclaire quelques minutes seulement.
Le pauvre a juste le temps de reconnaître son chemin,
Alors il se dépêche de regagner le fournil.
Toujours courant, il arrive essouflé ;
Son patron était en train d’enfourner.
Vous pensez bien qu’il n’était pas content !
Et notre Nénesse tout en claquant des dents
Raconte sa chasse ! « Tu n’es pas le premier »
Dit en secouant son gros ventre, le boulanger,
« Mais dans l’état où tu es, vas vite te coucher. »
C’était un brave homme, et puis qui aimait bien
À faire des farces… aussi il ruminait
Déjà de venger le Nénesse. Il avait
À la cave trois grosses bécasses de pendues,
Qu’il avait tuées la veille à l’affût.
Vite, il va les chercher, puis les place bien en vue
Au plafond de sa boutique, bien apparentes.
Dès le matin, la première femme qui vient
Est la plus cancannière du pays. « Eh bien !
« Voilà ma foi de bien beaux oiseaux », minauda-t-elle,
« Compliments au chasseur… » Le boulanger
Apportant une grosse corbeille de pain
Arrive pour lui répondre juste à point :
« C’est le Nénesse qui a rapporté ce beau trio,
Mais n’en parlez pas, il n’a pas encore
De permis… » Pensez bien qu’aussitôt sortie,
Notre langue de drille raconta le beau coup de fusil !
Et bientôt toute la ville est au courant…
Les trois mauvais sujets arrivent tambour battant,
Voir de leurs yeux les bécasses. C’est bien vrai,
Elles sont bien là, pendues par le bec ! Gaiment
Le patron leur dit : « Faites-en donc autant ! »
L’oreille basse ils s’en vont en grommelant…
Ils ont compris que, quoique bien malin,
On trouve toujours plus malin, plus fin…
Depuis ce coup-là, on n’a plus jamais
Mené personne à la bécasse ; mais croyez-moi,
Aujourd’hui encore, dans les histoires de chasse,
On ne manque pas de raconter celle du Nénesse ! !
La suite de la publication, en ligne prochainement
(Édouard) Jean Bart, Vieux Souvenirs d’un Village de la Côte. Mon vieux Marsannay, ses anciens vignerons, ses « Pataras », Dijon, L’Arche d’Or, coll. « Folklore de Bourgogne » n°3, 1978.