Dans « Pinot », il y a « pin »

Le Pinot noir est le cépage roi des vins rouges de la Côte-de-Nuits. C’est celui du prestigieux grand cru de la Romanée-Conti. On rencontre également le Pinot dans le Chablis, le Jura, en Champagne, Val de Loire, Alsace, Savoie, ou ailleurs dans le monde… Il est adapté au substrat calcaire de la Côte. Les recherches ampélographiques récentes en font un ancêtre de la Syrah et de la Mondeuse, du Gamay et du Chardonnay, sans qu’on puisse le faire remonter aux romains de façon certaine. Du moins son ancienneté serait-elle attestée par le nombre de ses variations clonales (plus de 1000 repérées, 47 clones agréés aujourd’hui). Les historiens au service de la promotion du vignoble bourguignon en ont vite fait un descendant direct de l’Allobrogica de la Basse Antiquité – Notre vignoble a plus de 2000 ans, crévindiou  ! Les analyses phylogénétiques font plus précisément supposer que le Pinot noir est antérieur. Venu du nord-est de la France, il aurait été croisé avec Vitis allobrogica au XIVe siècle. C’est à cette époque que son nom apparaît.

Étymologie 1
«  Pineau  » ou «  Pinot  » est attesté en moyen français. Il est sous la plume du poète champenois Eustache Deschamp dans un texte de 1395. Olivier de Serres le mentionne dans son Théâtre d’agriculture (1600).
Les étymologues s’accordent pour dire que le terme provient des grappes du cépage en question  : en forme de pomme de pin (pinea nux en latin).
Le «  pin  » apparaît dans la Chanson de Roland (1080)  ; le mot, masculin, vient du latin pinus qui est un féminin, comme tous les noms d’arbres en latin et en grec. La «  pine  », la pomme de pin, apparaît dans le Roman de la rose (1277) où le terme désigne aussi le sexe masculin. («  Chascune qui les va nomant / Les apele ne sai coment  : bourses, harneis, riens, piches, pines  »)

Pinot contre Gamay
Quant à « pinard », qui avec son suffixe péjoratif désigne un mauvais vin, il viendrait de l’argot des tranchées de 1914-18. Le « pinardier » en étant le négociant.
En 1395, Philippe le Hardy prit le parti du Pinot contre le « déloyal Gamay » qu’il prohiba de Bourgogne. Le Gamay s’est réfugié dans le mâconnais et en Beaujolais. Pas totalement !
Vers le milieu du XIXe siècle, le Gamay domine les vignobles de Marsannay et Couchey (plus de 500 hectares), et c’est encore ce cépage qui est replanté après la crise du Phylloxera (plus exactement, greffé sur Vitis riparia ou autre variété américaine). Les vignerons, fournissent les bistrots de Dijon avec du vin de soif. C’est ainsi que Marsannay, en 1935, lors de la création des AOC, est passé à côté de la labellisation en AOC village, laquelle n’a été obtenue qu’en 1987.
Aujourd’hui, on continue à cultiver du Gamay à l’est de la route des Grands-Crus, pour faire du Bourgogne Passe-tout-grain (avec un tiers de Pinot noir), mais sur les parcelles en appellation village, le Pinot noir a effacé le Gamay. Et l’on espère bientôt voir certains climats classés en premiers crus ! On est passé en quelques décades, pourrait-on dire, du pinard au Pinot !

Étymologie 2
Le Pin d’Alep, en grec ancien se disait κῶνος, et le mot a désigné par comparaison des objets coniques comme le cimier d’un casque ou la pointe du sein et, par abstraction, le cône géométrique. Notre « cône » vient plus directement du latin, conus, qui désignait, lui, la pomme du Cyprès.
Tous les Conifères n’ont pas comme le Pin d’Alep des groupements de graines en forme de cône, mais la racine pin a fini par triompher en botanique en supplantant d’autres dénominations. Exit les Conifères. Le Pin d’Alep, par exemple, – Pinus halepensis – fait partie de la sous famille des Pinoideae et, aux côtés du Cèdre, du Mélèze ou du Sapin, de la famille des Pinaceae, ordre des Pinales, sous-classe des Pinidae, classe des Pinopsida, embranchement des Pinophyta au sein des Gymnospermes (plantes sans fleurs). La racine « pin » de pinea nux a eu une belle descendance !

Sophisme

Les Conifères ont dominé la flore du Jurassique (entre – 200 et – 145 millions d’années). C’est justement l’époque de la formation des éboulis calcaires des climats de la Côte-de-Nuits. Le Pinot noir remonte donc aux Dinosaures  !

Réf.
  • Oscar Bloch et Walter Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, 8e éd., Paris, Puf, 1989.
  • Algirdas Julien Greimas, Dictionnaire de l’ancien français, Paris, Larousse, 1979.
  • Algirdas Julien Greimas, Teresa Mary Keane, Dictionnaire du moyen français. La Renaissance, Paris, Larousse, 1992.
  • Albert Doillon, Dictionnaire de l’argot, Paris, Robert Laffont, 2010.
  • Henriette Walter et Pierre Avenas, La Majestueuse Histoire du nom des arbres, Paris, Robert Laffont, 2017.
  • Pascaline Lepeltier, Mille Vignes. Penser le vin de demain, Paris, Hachette, 2022.
  • Article «  Vitis allobrogica  », Wikipédia, consulté le 1er janvier 2025.
  • Article «  Marsannay AOC  », Wikipédia, consulté le 1er janvier 2025.

L’alambic

« Le brandevinier  ; ce mot a disparu du langage usuel. Il désignait le distillateur. Il y a cinquante ans, à Marsannay, trois de ces artisans étaient installés au village, près d’un point d’eau, la distillation nécessitant beaucoup d’eau. Depuis quatre ans, les vignerons sont obligés de conduire leur marc dans les villages voisins, un seul alambic fonctionnant pour trois ou quatre communes.

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